Chapitre 21 – Origines
21 décembre 2023Chapitre 23 – Sacrifice
23 décembre 2023L’annonce de Thalior assomma Elara. De toutes les déclarations qu’il pouvait faire, celle-là était la plus dévastatrice. Jamais elle ne pourrait se prononcer entre Aelius et sa famille. À l’idée de devoir prendre une décision, son cœur se brisait un peu plus. Sa respiration se saccada, le souffle lui manqua et ses mains tremblaient quand Thalior l’attrapa dans ses bras pour l’aider à se calmer.
— Crois-moi, je sais que c’est un choix impossible, mais je n’en ai pas d’autres à proposer. Une vague de magie qui ressemble à la mienne doit refermer le cristal. Tu es la seule qui peut le faire.
— Je ne peux pas le condamner, sanglota Elara. J’ai enfin rencontré quelqu’un qui fait battre mon cœur. Vous ne pouvez pas me demander de le sacrifier.
— Si tu ne décides pas, l’asséna Thalior, tu condamnes tout le monde.
Elara revit le visage de son père, dépourvu d’émotion, repensa à ses amis, sa sœur, sa mère. Tous comptaient sur elle. L’angoisse enflait dans sa poitrine.
— Je viens juste d’apprendre à utiliser ma magie, renchérit-elle. Je n’y arriverai pas.
— Bien sûr que tu vas y arriver. Mais il faut que tu agisses rapidement, avant que la faille ne soit trop grande. Le collier vient d’absorber la magie de ton père, donc la tienne suffira.
En plus, elle devait se décider rapidement ? C’était la goutte d’eau en trop. Elara se leva pour frapper de toutes ses forces dans une branche devant elle. La panique la gagnait. Thalior la rattrapa et agrippa ses épaules.
— Tu es forte Elara, tu survivras à ça.
Sa tête se mit à tournoyer et elle s’effondra sous l’œil protecteur de son ancêtre.
— Elara ! Réveille-toi !
La voix paniquée d’Aelius la tira de son rêve. Elle observa les traits inquiets du magicien qui la secouait dans ses bras. Dès qu’elle reprit connaissance, la discussion avec Thalior lui revient en pleine figure.
— Bon sang Elara ! cria Aelius. Tu m’as fait une de ses peurs ! J’ai essayé beaucoup de formules de guérison, mais on dirait que tu es meilleure que moi à ça.
Avant de s’en rendre compte, des larmes affluaient sur les fossettes de la jeune femme.
— Tu pleures ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle n’eut pas le temps de répondre que le coffre se déverrouilla laissant apparaitre le collier de Margot, l’épouse de Thalior, sur un présentoir en or. Aelius se tourna vers elle.
— Tu as réussi ! s’émerveilla-t-il. Tu as retrouvé le cristal !
Les larmes continuaient de déferler sur les joues d’Elara tandis qu’elle observait le bijou. Elle se résolut à se relever pour l’attraper du bout des doigts.
Elle se devait d’expliquer la situation à Aelius, mais face à lui elle n’arrivait à aligner aucun mot. Son âme criait qu’elle ne survivrait pas à la décision de le condamner. La culpabilité la rongeait et son cœur saignait. Malgré les précautions qu’elle avait prises, elle devait se résoudre à l’évidence. Elle était amoureuse de lui. Son air hautain et agaçant passé, il s’était montré drôle, prévenant et courageux.
— Elara ?
— Je suis épuisée, Aelius. J’ai rencontré Thalior. Discutons-en tous les deux au calme.
— Rentrons à l’auberge, proposa-t-il en fronçant les sourcils.
Il glissa son bras à sa taille et les téléporta dans la chambre de l’auberge. Sidérée, Elara ne réagissait plus.
— Tu m’inquiètes, lui dit Aelius en l’aidant à s’assoir sur le lit. Est-ce que je peux faire quelque chose ?
Elara secoua la tête, n’arrivant pas à prononcer le moindre mot sans faire surgir des larmes au coin de ses yeux. Elle ressentait une énorme boule dans la gorge qui ne se décidait pas à partir.
— Tu veux t’allonger un peu ? proposa Aelius.
Elle accepta et s’enfouit sous l’édredon en plume. Aelius se leva pour sortir de la chambre, mais elle l’agrippa par un bout de sa chemise.
— Reste avec moi, s’il te plait.
Le magicien s’étendit à ses côtés. Il lui caressa les cheveux toute la nuit. Il chuchota une de ses formules pour l’apaiser qui la fit sombrer dans un sommeil sans rêves. Seuls les rayons du soleil la tirèrent du néant, mais elle aurait préféré continuer à dormir plutôt que d’affronter la réalité.
Aelius se tenait debout devant la fenêtre et observait les passants qui se pressaient dans la rue. Dès qu’il l’entendit bouger, il se précipita à ses côtés.
— Comment ça va ? Tu as eu un sommeil agité cette nuit. Je suis inquiet Elara. Qu’est-ce qu’il ne va pas ?
— Je…
La boule dans sa gorge était revenue. Elle savait qu’elle devait en parler avec lui, mais aucun son ne sortait.
— C’est le cristal, murmura-t-elle avec difficulté.
— Il ne marche pas, c’est ça ? répondit-il, en fronçant les sourcils.
Il s’assit à ses côtés, attrapa les mains de la jeune femme et posa son front contre le sien.
— Explique-moi. Elara ferma les yeux. La promiscuité du magicien se révélait aussi apaisante que douloureuse. Elle ne survivrait pas à cette discussion.
— J’ai compris les visions de Thalior. Ce que les légendes ont appelé cristal de Yule se trouve être le collier dans lequel il a enfermé sa magie pour libérer Colroy de la malédiction.
Aelius décolla sa tête et fronça les sourcils.
— Le collier a été fragilisé, voilà pourquoi la malédiction frappe de nouveau mon village.
— Oh, souffla le magicien. J’en déduis qu’il ne pourra pas me libérer alors.
Les mains d’Elara se mirent à trembler, Aelius resserra ses doigts contre les siens.
— Si je ne referme pas le cristal, la malédiction continuera à sévir, voire à empirer.
— Tu pourrais le refermer ?
— Je… Si je fais ça, je te condamne à être prisonnier pour l’éternité de cette stèle.
Aelius lui lâcha les mains, se releva subitement. Elle croisa son regard et y lut la douleur de se sentir une nouvelle fois abandonné par une des personnes qu’il aimait.
— Toi aussi tu vas m’abandonner.
Le ton froid d’Aelius finit d’achever Elara. Incapable de trouver des paroles pour l’apaiser, elle se précipita contre son torse.
— Je veux croire qu’il existe une autre solution.
— Et pourtant, déclama Aelius, je vois au fond de tes yeux que tu n’y crois déjà plus. Alors je vais te faciliter la tâche.
Il attrapa son bâton sans laisser de temps à la jeune femme pour réagir. Il s’évanouit instantanément.
— Aelius !
Le magicien venait de disparaître devant ses yeux en laissant derrière lui son bâton de magicien. Elara s’effondra, tituba jusqu’au rebord de son lit, noyée par la tristesse. Elara s’enroula autour de la couette et capitula face au désespoir qui la submergeait. Les sanglots d’abord vifs et intenses vidèrent Elara de l’énergie qui lui restait. Quand il ne subsista plus aucune larme à verser, elle se força à se lever. Combien de temps était passé ? Elle ne saurait dire. Elle s’en voulait de ne pas avoir réussi à expliquer toute la situation au magicien, mais est-ce que ça aurait changé quelque chose ?
Qu’allait-elle faire maintenant ? Elle ne pouvait se résoudre à refermer le cristal. Elle avait besoin de sa famille. À leur côté, elle espérait avoir la force de réaliser l’impensable. Mais comment y aller ?
Tel un zombie, elle dévala l’escalier et se heurta à Filomène qui s’affairait déjà au petit déjeuner des clients malgré la fête de la veille.
— Elara ! Je t’ai cherché partout hier soir, je t’ai vu danser avec un bel homme ! Est-ce que tu es rentrée avec lui ? Tu veux que je…
Elle dévisagea la sorcière. Son regard devint sérieux, elle semblait avoir compris le désespoir de la jeune femme, car elle s’empressa de pauser le plateau vide qu’elle tenait entre ses mains. Elle attrapa Elara par les épaules pour l’emmener dans la cuisine.
— Qu’est-ce que tu as ? Tes yeux sont rouges et bouffis ? Tu as pleuré ? Est-ce que quelqu’un t’a fait du mal ?
Voyant qu’Elara avait toutes les peines du monde à répondre, Filomène se mit à paniquer.
— PAPA ! Alerte en cuisine !
Le vieux barbu se précipita en renversant au passage une cagette d’orange en équilibre sur le plan de travail.
— Qu’est-ce qui brûle ?
— Personne ne brûle Papa ! Regarde cette pauvre Elara, on dirait qu’un troupeau de rennes lui est passé dessus.
À l’évocation des rennes, le cerveau d’Elara se remit en route.
— Les rennes… chuchota-t-elle. Vous croyez qu’ils pourraient me ramener chez moi ?
— Tu as un souci ? s’inquiéta le vieux barbu.
— Je dois retourner chez moi, balbutia Elara. Rapidement.
Filomène et son père échangèrent un regard entendu.
— Laisse-nous cinq minutes pour nous organiser et préparer le traineau. On t’emmène.
— Mais l’auberge ?
— Oh, les clients sauront bien se débrouiller seuls un jour ou deux, on n’a que des habitués ici de toute façon ! Un petit mot au comptoir et le tour est joué. Ce n’est pas la première fois qu’on le fait, ne t’inquiète pas.
— Merci, chuchota Elara, au bord des larmes.
Alors qu’elle patientait à l’extérieur, Elara voyait Filomène s’affairer et expliquer aux clients du jour qu’elle devait s’absenter. Elle n’en revenait pas qu’ils décidaient d’accompagner une fille rencontrée deux jours à peine jusqu’à un village perdu au fond de la vallée. Elle pensa qu’ils auraient toute leur place à Aubelumière.
Quelques instants plus tard, elle monta sur le traineau en bois tiré par un groupe de rennes. Elle jeta des regards dans les rues qu’elle traversait dans l’espoir d’apercevoir la silhouette du magicien, sans succès. Pourrait-elle le revoir encore une fois avant de déverser sa magie dans le cristal ? Elle aurait voulu lui avouer ses sentiments. C’est le cœur lourd et serré que la petite troupe s’enfonça sur les chemins sinueux. Bientôt, Elara retrouverait son village et sa famille.