Chapitre 23 – Sacrifice
23 décembre 2023Bonne année 2024 !
1 janvier 2024La vie reprenait son cours dans le village d’Aubelumière. Dans son chalet, Elara renouait avec sa routine. À côté d’elle, son chaudron bouillonnait. Ses potions avaient laissé la place à des soupes de légumes. Le bruit de l’eau en ébullition l’apaisait et lui permettait de terminer son ouvrage le cœur moins lourd.
Deux jours s’étaient écoulés depuis la fête du solstice, une dizaine depuis la disparition d’Aelius qui pesait toujours sur la jeune femme. Ses amis l’avaient entouré, cajolé, mais dès qu’elle se retrouvait seule, dès qu’elle fermait les yeux à la nuit tombée, son esprit revenait inexorablement sur l’absence du magicien. Elle ressassait en boucle leur dernière conversation.
Le bonheur d’avoir recouvré son père et sauvé le continent ne contrebalançait pas la perte de ce dernier. Elle n’arrêtait pas de se demander si elle n’avait pas pu faire autre chose. Quel gâchis !
— Elara !
La porte du chalet claqua pour laisser entrer Filomène, affublée d’un bonnet vermeil et d’un long manteau pourpre qui trainait au sol. Le bout de son nez rougi par le froid, son sourire jusqu’aux oreilles, elle s’installa à côté d’Elara.
— Tu as fini ?
— Presque.
Son amie était tombée amoureuse d’Aubelumière. Alors que son père était reparti pour gérer l’auberge à Colroy, Filomène avait décidé de rester.
Elle se releva du fauteuil pour se réchauffer devant l’âtre de la cheminée où crépitait le feu qu’Elara avait allumé le matin. Elle sifflait en sautillant, incapable de cacher son impatience.
— Tu me sembles de très bonne humeur, s’amusa Elara. Une bonne nouvelle ?
— Je crois qu’on a trouvé l’endroit ou je pourrai établir l’Auberge.
— C’est vrai ?
— Oui ! Les anciens sont adorables ! Je ne pensais pas qu’ils verraient d’un bon œil mon installation ici, mais c’est tout le contraire.
Elle fronça les sourcils un instant avant de faire apparaitre un sourire malin sur son visage.
— Alors, ils auraient préféré convaincre Doc de me laisser raser son cabinet que tout le monde considère comme une verrue au milieu du village. Tu imagines comment ils ont été reçus par ce vieux grincheux quand ils le lui ont proposé. D’ailleurs, en parlant de Doc’ tu as réfléchi à son offre ?
Elara reposa son ouvrage dans la petite boîte en métal qu’elle avait prévu pour le transporter.
— Je crois que je vais accepter.
— C’est vrai ? Mais c’est génial.
— Mes potions n’ont plus les mêmes effets qu’avant sans mes pouvoirs. Si je veux être utile au village, je vais devoir me retrousser les manches. Même si je dois avaler des manuels imbuvables pour ça.
Elara se releva et épousseta sa jupe.
— Je vais me préparer, tu m’attends ?
— Mais oui ! Je t’avais prévenu que je viendrais avec toi.
Filomène patientait calmement devant le chaudron quand Elara ressortit de sa chambre. Elle avait enfilé une robe en laine verte, un manteau épais et des bottes fourrées.
Elle n’arrivait pas à estimer le temps qu’il lui faudrait dans la forêt, mieux valait être équipé pour braver le froid de l’hiver.
Elle récupéra la boîte en fer et la glissa dans son panier.
— Je suis prête.
Filomène logea son bras sous le sien et les deux amies sortirent du chalet.
— Du coup, tu as trouvé quoi pour ton auberge ? questionna Elara.
— Une vieille ferme abandonnée. Camille s’est proposé pour m’aider à la retaper.
Elara observa les joues de son amie rougir. Elle avait eu un énorme coup de cœur pour Camille dès qu’elle l’avait rencontré. Et Elara avait l’impression qu’elle ne laissait pas le jeune homme de marbre non plus. Celui-ci semblait avoir tiré un trait sur une possible relation avec Elara quand il avait été témoin du désespoir de la jeune femme après la disparition d’Aelius. Depuis, elle retrouvait son ami d’enfance, sans ambiguïté, et ça lui réchauffait le cœur.
Elles arrivaient à une intersection, les sentiers dans la forêt se ressemblaient tous à cette période de l’année et la neige tapissait les plantes avec lesquelles Elara se repérait habituellement. Découvrir la forêt en hiver était nouveau pour elle. Pendant des années, elle évitait de s’y rendre jusqu’au printemps, mais maintenant que la menace était levée, cette restriction n’avait plus lieu d’être. Elle cherchait du regard les croix qu’elle avait laissées sur la cime des arbres.
— Je n’ai aucune idée du chemin à prendre, soupira-t-elle
— C’est par là ! cria Filomène en montrant du doigt le sentier de droite.
— Comment est-ce que… ?
— Fais-moi confiance !
D’un air suspect, Elara se laissa guider par Filomène à travers le bois. Sûr d’elle, l’aubergiste trottinait dans la neige et se retournait constamment pour être certain qu’Elara la suivait. La jeune femme se demanda si elle ne tombait pas dans un piège, après tout c’était Filomène qui lui avait soufflé l’idée de ce qu’elle s’apprêtait à faire.
Elle s’approchait d’une clairière et Elara reconnut les lieux, ils arrivaient enfin à la stèle. Elle ne savait pas comment Filomène avait réussi, mais elle avait retrouvé le chemin.
Elle s’avança quand elle remarqua des silhouettes qui entouraient la prison du magicien. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises avant de s’apercevoir que le village entier était rassemblé.
— Mais qu’est-ce que… souffla-t-elle.
— Vous arrivez enfin ! cria Caden en venant à leur rencontre. On vous attend depuis une éternité, j’ai les orteils qui vont tomber tellement j’ai froid.
— Mais qu’est-ce que vous faites là ?
— Je leur ai demandé de venir, s’amusa Filomène. Parce qu’apparemment, dans la tradition, il faut qu’il y ait des témoins.
Elara se tapa la main sur le front.
— Qui t’a donné ses informations ?
— On en a discuté avec Camille, répondit-elle gênée.
Elle continua à avancer, les habitants se poussèrent, la laissant se diriger vers la stèle. Elle arrivait devant l’énorme bloc de pierre quand le doute commença à la ronger. Est-ce qu’il pourrait la voir d’où il était ? Est-ce qu’il comprendrait le message ? Elle ne s’arrêterait pas de chercher un moyen de le sortir de la, elle aurait aimé qu’il le sache.
Ses parents s’approchèrent avec douceur et l’entourèrent de leurs bras chaleureux.
— On est fier de toi, petite fée, souffla son père avant de s’écarter et de la laisser seule devant la stèle.
Elle posa son panier au sol, attrapa la boîte en fer et l’ouvrit.
Trois jours déjà s’étaient écoulés depuis le solstice d’hiver et les anciens avaient décidé de réorganiser la cérémonie des fleurs séchées, vu la catastrophe de la précédente. Et pour une fois, Elara voulait offrir la sienne. Elle en avait parlé à Filomène qui au lieu de trouver l’idée ridicule l’avait encouragé et lui avait rapporté des fleurs de toutes les couleurs qu’elle avait glanées avec l’aide de ses amis chez chaque habitant d’Aubelumière.
Et maintenant, elle se retrouvait plantée là, devant cette stèle, sa couronne tressée colorée dans les mains. Elle avait travaillé des jours et des nuits pour avoir le résultat le plus parfait, le plus juste à ses yeux.
Les mains tremblotantes, elle s’approcha de la pierre et s’agenouilla pour déposer la couronne au sol. Elle sentait les larmes monter aux yeux et se mordit la lèvre pour s’empêcher de pleurer.
— Aelius Blancherive, chuchota-t-elle. Je t’offre ma couronne de fleurs. Est-ce que tu l’acceptes ?
Elle ferma les yeux, se sentant idiote d’espérer une réponse. Elle se releva, se retourna pour retrouver sa famille quand une vieille hurla.
— Regardez cette lumière !
La couronne étincelait au sol et un rayon lumineux frappa Elara, il était si faible qu’elle aurait pu ne pas le remarquer. Son père se plaça à ses côtés et lui posa la main sur l’épaule. La lueur s’accentua.
— Approchez-vous ! hurla Jalina. On peut l’aider.
Chaque habitant d’Aubelumière se joignit à cette chaîne humaine qui partait de la sorcière. Et à chaque personne qui se rajoutait le rayon s’intensifiait. Quand tous les habitants entourèrent Elara, la lumière se dirigea vers la stèle qui implosa en mille morceaux remplissant la clairière d’un nuage de fumée épaisse.
Elara se frotta les yeux, en face d’elle, une silhouette se baissait pour ramasser la couronne qu’elle venait de déposer. Une silhouette dont elle rêvait toutes les nuits.
La fumée se dissipa et Aelius lui faisait face. Son visage fin et ses cheveux blonds en bataille qui manquaient tant à la sorcière étaient de plus en plus nets.
— Je l’accepte, prononça-t-il. Si tu veux bien d’un magicien agaçant.
Elara s’approcha de lui, incapable de savoir si elle était en plein rêve. Les yeux bleu acier d’Aelius pétillaient, mais il n’osait bouger, de peur de rompre le charme. Elara traça le contour de son visage avec le bout de son doigt.
— Tu es réel ?
— On dirait bien, rigola-t-il, et ils ont l’air de me voir aussi.
Il tendit le bras pour montrer les habitants aux têtes médusés qui n’en revenaient pas.
À peine terminait-il sa phase qu’Elara lui sautait au cou.
— C’est un miracle.
Elle sentit les bras d’Aelius l’enlacer et ils s’embrassèrent tendrement. Tandis qu’elle décollait ses lèvres de celles du magicien, elle surprit Filomène, aux côtés de Camille, lui adresser un clin d’œil entendu, le visage plein de malice, comme si elle se doutait déjà de cette fin heureuse qui attendait la jeune femme.
Fin.