Chapitre 18 – Sibylle Blancherive
18 décembre 2023Chapitre 20 – Les catacombes
20 décembre 2023Aelius semblait mortifié par les dernières paroles de sa mère. Jamais encore Elara ne l’avait vu autant mal à l’aise, elle exultait en observant le bout de ses oreilles rougir. Le contact avec la main du magicien se fit plus intime, et avant que le moment ne devienne plus étrange elle se décida à briser la glace.
— Je ne vais pas te forcer à m’emmener danser, ne t’inquiète pas. Je me doute que ce n’est pas trop ton truc.
Au lieu de se détendre, le visage d’Aelius se renfrogna.
— Pourquoi donc ça ne serait pas mon truc ? demanda-t-il.
— Euh, je ne sais pas, j’avais l’impression que tu étais du genre casanier, à préférer les livres de magie aux bals de la cour.
— C’est la deuxième fois que tu supposes que je priorise les livres à la vraie vie. Je t’ai déjà expliqué que c’était faux non? Quand tu escaladais le chêne.
Il fronça les sourcils, Elara paniqua et continua à déblatérer devant l’air agacé du magicien.
— De toute façon, je danse très mal.
— Tu te débrouillais très bien avec le prince tout à l’heure.
— C’est parce qu’il me guidait !
— Est-ce que tu sous-entends que je ne ferai pas aussi bien que lui ?
Piqué dans sa fierté, Aelius se leva et tira sur la main de la jeune femme pour l’entrainer avec lui.
— Aelius !
— Quoi ?
— Qu’est-ce que tu fais ?
— J’obéis à ma mère ! Je viens juste de la retrouver, je vais me garder de ne pas l’écouter.
Il l’emmena jusqu’à la piste de danse et lui attrapa la taille. Contrairement au prince, il ne laissa aucun espace de pudeur entre eux et leurs corps se frôlaient au rythme de la valse.
Aelius guida Elara avec douceur, ses yeux ne quittèrent pas ceux de la jeune femme. Elara frissonna à chaque contact initié avec le magicien. Perdus dans leur tourbillon, ils oublièrent l’entièreté du monde autour.
— Tu te débrouilles bien, murmura Elara.
— Mieux que ton dernier cavalier ?
— C’est… différent.
Les pupilles d’Aelius pétillèrent, il rapprocha sa tête de celle d’Elara. Leurs lèvres se frôlèrent un instant avant qu’il ne bifurque pour chuchoter à son oreille.
— Je ne crois pas que tu étais aussi rouge quand tu dansais avec lui.
Déconcertée Elara s’emmêla les pieds dans la traine de sa robe et écrasa ceux du magicien qui grimaça puis partit dans un fou rire.
— Je me disais bien que c’était étrange que tu ne tombes pas avec cette traine démesurée.
Il l’aida à se redresser et replaça une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Tu es très belle ce soir. Et cette robe…
Le souffle coupé, Elara sentait sa peau bruler au passage des doigts d’Aelius le long de sa nuque.
— Tu n’es pas mal non plus.
— Elara, je… je suis désolé d’être parti. Je n’aurais pas dû te laisser seule alors qu’on faisait équipe.
Elara, la tête adossée contre le torse du magicien, entendait son cœur battre à la chamade.
— De revoir Paul m’a bouleversé plus que ce que j’imaginais. Ils sont tellement heureux, sans moi. Il a réussi à trouver sa place et moi j’ai l’impression d’être passé à côté de ma vie.
Elara releva la tête pour enfoncer ses yeux dans ceux du magicien.
— On va récupérer ce cristal.
— Je suis en train de me dire que ça ne serait pas si terrible non plus de vivre ainsi à tes côtés, chuchota-t-il tendrement.
Le cœur d’Elara s’emballa. Elle ne voyait plus que les lèvres du magicien à quelques centimètres des siennes. Elle ne pensait plus qu’à une chose, l’embrasser. Chacun de ses contacts l’électrisait, faisait monter le désir qu’elle ressentait pour lui. Voulait-il vraiment rester à ses côtés ? Et s’il le regrettait ?
— À quoi tu penses ? chuchota Aelius.
Devait-elle lui demander ? Lui expliquer l’attirance qu’elle éprouvait pour lui ? Se moquerait-il ? Pouvait-elle décemment exiger d’un homme qu’elle ne connaissait que depuis quelques jours de rester à ses côtés plutôt que de retourner vivre la vie qui l’attendait ? Non, elle ne pouvait pas. Elle n’en avait pas le droit.
Elle secoua la tête.
— Je me demandais si l’on allait enfin réussir à entrer dans ses catacombes.
Il plissa des yeux au changement de sujet de la jeune femme, mais n’insista pas.
— Je connais bien ma mère, soupira-t-il. Et il y a une chose que je dois lui reconnaitre, c’est qu’elle arrive toujours à ses fins.
— Ta relation était compliquée avec elle ?
— Moins compliquée qu’avec mon père. Il n’était jamais satisfait, ce n’était jamais assez pour lui. Même si je suis sorti avec les honneurs de l’académie, il ne m’a jamais félicité. J’ai l’impression d’avoir couru toute ma jeunesse pour obtenir son approbation. Quand j’ai vu la relation que tu avais avec tes parents, j’ai commencé à réfléchir sur la relation que j’avais avec les miens.
— Tu pourras en parler avec lui à ton retour
— On verra. Avec le recul, je me rends compte de ma stupidité d’avoir cherché ce cristal pour empêcher un mariage. Je paye le prix de mes actions. Et finalement, je ne le regrette pas, ça m’a permis de te rencontrer. Et Elara, je…
Leur conversation fut interrompue par un garde se faufilant à travers les danseurs d’un pas sur qui se planta devant eux.
— Veuillez me suivre, leur ordonna-t-il. Le roi requiert votre présence.
Aelius fit glisser la main d’Elara sous son bras. Elle lui lança un regard inquiet.
— Ne t’en fais pas, la rassura Aelius. Je vais parler avec Paul. J’ai décidé d’arrêter de fuir.
Elara soupira, se colla contre le magicien. Elle savait que cette conversation était nécessaire. Qu’il en allait de la survie de son père, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de l’appréhension.
— Est-ce que tu crois qu’elle a convaincu le roi ? demanda-t-elle.
— Aucune idée.
La grande table était déserte, une effervescence se manifestait autour du roi, debout dans les jardins. Les discussions semblaient vives et intenses. Elara croisa le regard du prince qui avait valsé avec elle plus tôt dans la soirée. Il s’approcha d’elle, surpris et observa Aelius avec circonspection.
— Finalement, vous avez trouvé Sibylle toute seule.
— C’est plutôt elle qui m’a trouvé, rougit Elara.
— Je vois. Moi qui espérais avoir le droit à une deuxième danse avec vous.
— Entre-temps, toussota Elara, mon cavalier s’est décidé à venir.
Elle sentit Aelius se redresser. Il toisait le prince avec froideur, mais Elara décela autre chose dans son regard. Les mots de la sorcière avaient résonné en lui. Il avait l’impression qu’elle le soutenait, qu’elle l’acceptait avec ses défauts comme personne avant elle. Est-ce qu’il avait enfin trouvé quelqu’un qui ne l’abandonnerait pas ?
— Si j’étais vous, continua le prince en observant Aelius, je ne la laisserais plus seule. Qui sait, un autre homme pourrait voler son cœur.
Il leur fit signe de le suivre jusqu’à l’attroupement.
— Mon père vous attend.
Alors qu’ils s’avançaient en direction du roi, Elara sentait la pression monter, les battements dans sa poitrine s’accélérer. S’ils n’obtenaient pas le moyen de se rendre aux catacombes ce soir, elle rentrerait chez elle.
— Je déteste les princes prétentieux, bougonna Aelius.
— Et moi, je trouve que son attitude me rappelle quelqu’un, plaisanta Elara.
Les yeux bleu acier du magicien lui envoyèrent des éclairs, ce qui augmenta l’amusement de la jeune femme.
Les invités autour du roi s’écartèrent peu à peu pour les laisser passer et bientôt ils lui firent face. Paul, entouré de Giselle et de Sibylle.
Quand il les aperçut, les mains du roi se mirent à trembler. Il ne voyait plus rien que les yeux de son ami, laissé pour mort pendant quarante ans. Le roi enleva son masque et le jeta au sol.
— Est-ce toi ? Aelius ? Est-ce vrai que Sibylle m’a dit ? Tu es parmi nous ?
Aelius retira son masque et le fit disparaitre. L’assemblée observait avec un silence religieux le visage du magicien parti depuis quarante ans. Le prodige inégalé de l’académie de magie était de retour. Le visage du roi se déforma de tristesse. Il s’approcha de son ami disparu les lèvres tremblotantes et s’agenouilla.
— Je suis désolé, sanglota t’il les joues inondées par les larmes. Je suis tellement désolé que tu aies entendu ce que j’ai dit à cette jeune femme. Tu as dû me trouver injuste et égoïste. Pendant tout mon règne, j’ai vécu avec la culpabilité de ta perte. C’est de ma faute si tu étais parti à la recherche du cristal. Parce que j’étais un roi couard, incapable d’exprimer ses propres désirs.
Le visage de marbre qu’arborait Aelius au début de la confrontation se fissura. Il laissa affluer les sentiments contradictoires qu’il ressentait pour son ami.
— Si ça t’était arrivé, déclama Aelius. J’aurais tout fait pour te sauver.
Il tendit sa main libre à Paul pour l’inviter à se relever.
— Mais tu n’es pas le seul responsable de mon emprisonnement. J’étais tout à fait capable de mesurer les dangers encourus.
Le roi agrippa le bras d’Aelius, son visage reprenait de sa constance.
— Je ne peux pas te laisser aller dans les catacombes. Si ce que vous trouviez là-bas risquait de mettre le royaume en péril ?
Aelius lança un regard en biais à Elara, il sentait sa main trembler contre son bras. Il sourit. Il s’était promis, la nuit dernière, quand il errait dans Colroy de tout faire pour aider la jeune femme.
— D’où elle vient, expliqua Aelius au roi, une malédiction qui enlève la joie ainsi que le bonheur sévit. C’est aussi ton royaume Paul. Et cette malédiction, rien ne dit qu’elle ne risque pas de se propager jusqu’ici. Laisse-nous aller y jeter un coup d’œil. Si l’on sent le moindre danger, on ne continuera pas. Fais-moi confiance.
Giselle s’approcha du roi. Elle passa sa main dans le dos de l’amour de sa vie.
— Si tu ne l’aides pas, tu le regretteras. Tu regrettes déjà tellement. Libère-toi de ce fardeau. Aelius a toujours eu la tête sur les épaules, j’ai confiance en lui.
Le dos usé du roi était parcouru de secousses. La souffrance de toute sa vie, sa culpabilité, tout sortait comme un aveu salvateur.
Il fouilla l’intérieur de son veston pour y attraper une clé et la déposa dans la main du magicien.
— Reviens-nous, s’il te plait.