Chapitre 8 – L’enquiquineur
8 décembre 2023Chapitre 10 – Les lutins de la rivière
10 décembre 2023Voir l’effet de la bombe qu’il venait de lâcher dans les yeux de la paysanne l’amusait beaucoup. Elle le scrutait pour deviner s’il mentait ou pas. Il ne put s’empêcher de sourire, de prolonger le plaisir pour l’embêter un peu plus.
La jeune femme secoua la tête pour reprendre ses esprits. Elle se repencha pour suivre la conversation que tenait sa famille — ennuyante au possible — mais ne cessait de lui jeter des regards interrogateurs. Bientôt, son impatience gagna ses jambes qu’elle agitait sous la table en faisant claquer ses talons. Il se demanda combien de temps encore elle allait résister ! Il sentait qu’elle mourrait d’envie de l’assaillir de questions. Soudainement, Elara se leva de sa chaise dont les pieds crissèrent sur le sol.
— Je dois chercher quelque chose, expliqua-t-elle à sa famille, je reviens.
— Elara, reprocha celui qu’elle surnommait Doc, je comprends que ce n’est pas facile, mais c’est une discussion importante.
— Je sais, je reviens, c’est promis ! J’ai juste oublié de faire un truc.
Elara s’éloigna de la table en ignorant les remontrances du médecin. Elle avança de quelques mètres puis se retourna, surprise qu’Aelius ne la suive pas. Comme s’il allait lui faire ce plaisir. Après tout, elle avait refusé ses requêtes à multiples reprises. Ses yeux verts s’écarquillèrent et sa bouche se pinça. Elle était plutôt mignonne quand elle s’énervait. Il leva les mains au ciel et s’approcha en flottant. Les déplacements sous cette forme spectrale ne lui demandaient pas beaucoup d’effort. Arriverait-il à se téléporter ? Il avait hâte de voir les avantages que pouvait lui apporter son état. Ce dont il était certain par contre, c’est qu’il ne parvenait pas à utiliser sa magie. Oh, il avait bien essayé de lancer quelques incantations, mais sans succès. En même temps, rien de bien étonnant ! Le chakra magique circulait dans son sang, et son corps à lui demeurait prisonnier de cette satanée stèle. Contrairement à ce qu’il avait imaginé, la paysanne ne parla pas avant qu’ils ne soient arrivés à l’intérieur d’une maison affreuse. Tout en métal, rouillée par endroit dont la porte poussa un rugissement terrifiant à l’ouverture. Les pièces sentaient le désinfectant. La vue d’une trousse en cuir et d’un brancard suffit au magicien pour comprendre qu’il se trouvait dans le cabinet médical. Est-ce qu’elle travaillait ici ? Ça ne serait pas étonnant, il avait été témoin de son potentiel ce matin ! S’il l’entrainait à utiliser sa magie, elle pourrait prendre la place de celui qu’elle appelait Doc haut la main.
Elara attrapa une chaise pour s’y installer, se ravisa et commença à arpenter la pièce. Son nez retroussé amusait beaucoup Aelius. Il reniflait des biscuits à la cannelle — comme tout ce qui se trouvait dans ce village — quand elle se planta devant lui d’un air décidé.
— C’est quoi cette histoire de cristal ? demanda-t-elle.
Oh, elle ne perdait pas son temps. S’il avait su qu’il suffisait de mentionner le cristal pour qu’elle accepte de lui parler, il l’aurait fait plus tôt. Mais il ne pouvait pas lui donner les détails tant qu’il n’était pas certain de son implication.
— Est-ce que tu vas m’aider ?
— Il peut vraiment réaliser les vœux ?
Il décela tellement d’espoir dans ses grands yeux verts qu’il ne put s’empêcher de lui répondre.
— C’est ce que dit la légende, marmonna-t-il. Je suivais sa piste quand je me suis retrouvé emprisonné dans la stèle.
— Rien de certain alors ?
Comme s’il avait pu se lancer dans une quête sans informations solides ! Pour qui le prenait-elle ?
— Le prince lui-même m’a envoyé sur sa trace, s’énerva-t-il, tu ne penses pas que c’est parce qu’on avait assez d’indices ?
Il s’en voulut instantanément d’en avoir trop dit. Il l’observa, se mordre la lèvre, perdue dans ses réflexions. Il avait l’étrange impression de pouvoir lui faire confiance.
Elara soupira.
— OK. Je suis d’accord. Je vais t’aider.
Quand son regard croisa le sien, il n’y lut que de la compassion.
— Après tout, si tu espères récupérer ton corps tu n’as pas intérêt à me raconter des mensonges.
Il leva les yeux au ciel, amusé par tant de naïveté.
— Installe-toi, je vais t’expliquer.
Une fois la jeune femme enfoncée dans sa chaise, son attention pendue aux lèvres du magicien, il commença son récit.
— Le prince m’a demandé de retrouver le cristal de Yule. Nous avions trouvé sa piste après une mission contre des pirates dans la baie, sur une pierre séculaire. Sa trace m’a mené jusqu’à la stèle.
Il se pinça les lèvres, ses souvenirs restaient flous depuis son réveil. Il haïssait ça. La jeune femme profita de son moment de flottement pour l’interrompre.
— Pourquoi étiez-vous à sa recherche ?
— Le prince en avait besoin et je voulais prouver à mon père que je pouvais réussir une quête qui…
Il secoua la tête, agacé de repenser à celui qui le dénigrait chaque fois qu’il en avait l’occasion.
— Ce n’est pas le plus important ! La stèle gardait une vieille carte, protégée par un sort. Je l’ai contré facilement, mais je n’avais pas prévu qu’il y ait une deuxième protection.
Il détestait s’être retrouvé piégé, il s’était fait avoir comme un débutant et ça lui coutait de l’avouer, surtout devant une inconnue.
— C’était un piège ? s’exclama-t-elle. Si tu as échoué, je n’ai pas la moindre chance, je ne suis pas magicienne.
Elle mesurait ses mots prononcés avec lenteur. Comme si elle prenait conscience qu’elle risquait de s’aventurer dans le danger. Il mourrait d’envie de la rassurer. Il se pinça les lèvres en se demandant bien pourquoi il se préoccupait de cette paysanne qu’il venait de rencontrer.
— La dernière chose vue, c’est un lutin palmé qui s’enfuyait avec la carte.
— Un lutin palmé ? Oh, tu parles du petit peuple du lac ? Si c’est eux qui ont la carte, ça sera facile de la retrouver.
Elle se releva d’un bon, sautilla d’excitation comme si toutes ses inquiétudes s’envolaient.
— Caden pourra nous aider ! lui expliqua-t-elle. Il commerce avec eux. C’est dans leur famille depuis des générations, ils échangent des matériaux qu’on fabrique contre des objets en tout genre.
Elle tapa des mains sur la table avec vigueur.
— Allons-y !
Aelius croisa les bras sur son torse en prenant un air froid.
— Tu es sûr de toi ? Je ne tolèrerai pas que tu fasses marche arrière. Maintenant que tu as accepté de partir à la recherche du cristal, hors de question de me faire faux bond !
Les yeux de la sorcière s’écarquillèrent.
— Oh, tu penses que je vais te laisser tomber ? Il est vrai qu’on n’est pas parti sur de bonnes bases tous les deux. Mais il faut dire que tu es tellement…
Elle pencha sa tête sur le côté.
— Je suis ravie de pouvoir t’aider et je n’ai pas intérêt à te planter ! Si ce que tu dis est vrai, j’ai peut-être la solution à la malédiction qui s’abat sur le village et sur mon père. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour le sauver ! Tu peux compter sur moi ! En plus, je culpabilisais de t’avoir envoyé promener.
Le cœur d’Aelius s’accéléra, elle culpabilisait de ne pas l’aider ? Il observa Elara sautiller jusqu’à la porte d’entrée. Elle se retourna pour l’appeler, un grand sourire sur le visage. Le cœur du magicien rata un battement quand il croisa son regard pétillant. Il la suivit en silence, essayant tant bien que mal de repousser la vague de chaleur qu’il ressentait à ses côtés.
Elara insista pour rejoindre tout de suite le dénommé Caden. Elle le trouva attablé avec sa bande d’amis. Leur discussion agitée cessa dès qu’ils aperçurent Elara.
— Oh, Ela, tu viens nous tenir compagnie ?
Un grand brun aux yeux sombres l’invita à s’installer vers lui. Son nez aquilin marquait sa différence avec l’homme qu’Aelius avait croisé chez Elara le matin. Ils devaient être jumeaux.
— Merci Caden !
— Tu ne devrais pas rejoindre tes parents, je crois que ta sœur te fait des signes, souligna une belle blonde.
— Non, j’avais une demande à vous faire. Enfin à Caden.
À l’aise au milieu de ses amis, la jeune femme sembla cependant hésiter à poser sa question.
— Tout ce que tu veux Ela, l’encouragea Caden. Tu ne me demandes jamais rien !
— Est-ce que tu peux m’accompagner chez le petit peuple de la rivière ? osa-t-elle. Ils ont récupéré un objet dont j’ai besoin. J’espérais l’échanger avec eux.
— De quel objet s’agit-il ? demanda Caden, je te le ramène si tu veux.
Elara lança un regard en coin au magicien et il secoua la tête. Elle devait aller la récupérer en main propre. Il faisait confiance à la jeune femme, mais il ne savait rien de ses amis. Il ne prendrait aucun risque.
— Non, insista-t-elle. J’aimerais le leur demander en personne.
Caden se dodelina sur sa chaise. L’amoureux transi du matin en profita pour se manifester en fixant Elara de ses yeux sombres.
— Tu vas encore te mettre en danger.
Tout le groupe d’amis se tourna vers Camille ; Elara comprit rapidement qu’ils savaient pour son escapade nocturne. Elle paniqua, fit de gros yeux à l’amoureux transi pour finir par lui balancer un coup de pied sous la table.
— Aie ! Ela tu m’as fait mal !
— Tu leur as dit ! hurla-t-elle. On ne peut vraiment pas te faire confiance !
— Fais moins de bruit, chuchota Finnigan. Il nous a dit que tu es retournée dans la forêt cette nuit. Ela, te mettre en danger n’aidera pas tes parents.
Il posa une main sur son épaule pour calmer la jeune femme.
— Je ne me suis pas mise en danger ! protesta-t-elle. La preuve, je suis revenue entière.
Elle foudroya le pauvre Camille qui se ratatina sur son siège. Aelius ricana, le pauvre garçon s’y prenait comme un manche pour la séduire. Même lui aurait plus de succès s’il le voulait.
— Pourquoi tu veux aller voir le petit peuple ? questionna Mia.
— J’ai une piste pour lever la malédiction.
Caden se redressa ainsi que tous ses amis, piqués dans leurs curiosités.
— Et c’est quoi cette piste ? lança Camille.
Elara se mordit la lèvre.
— Je préfère ne rien vous dire tant que je ne suis pas certaine que ça puisse marcher.
Elle jeta un coup d’œil au magicien, qui l’observait attentivement.
— Vous allez devoir me faire confiance. Mais je vous promets de ne pas me mettre en danger.
Caden renifla. Camille secouait la tête pour le contraindre à refuser la proposition de la jeune femme. Quel idiot celui-là. Aelius ne le connaissait que depuis quelques heures que déjà il l’insupportait. Heureusement, son frère semblait plus perspicace.
— Tu veux y aller quand ? demanda Caden.
Elara se tourna vers Aelius, pour avoir son avis.
— Maintenant ? tenta-t-il.
Après tout, autant battre le fer tant qu’il est encore chaud.
— On y va maintenant ! s’exclama-t-elle.
— OK, acquiesça Caden, attrape tes affaires, on va chercher de quoi négocier et je t’emmène.
Aelius serra les poings ! Il ne regrettait pas d’avoir choisi Elara pour l’accompagner dans son périple ! Elle semblait aussi intrépide que lui.
Il se planta devant Camille, en pleine protestation, pour lui tirer la langue. Elara pouffa d’amusement à la vue de ses pitreries. Son rire fit s’envoler le cœur du magicien. Alors qu’il regardait la jeune femme s’éloigner avec son ami, il se promit de le faire résonner encore.