Chapitre 14 – Rapprochement
14 décembre 2023Chapitre 16 – Un bal inattendu
16 décembre 2023— Arrête de jouer avec ton écharpe, chuchota Aelius.
Mais Elara ne pouvait s’en empêcher. Leur plan avait fonctionné. Un peu trop bien à son goût. Le soldat avait écarquillé les yeux à la vue de la pièce comme s’il venait de regarder un fantôme. Il avait bégayé et demandé à son collègue une deuxième vérification. Ils leur avaient dit de patienter quelques instants. Le deuxième garde avait couru à l’intérieur du palais comme si la mort le pourchassait. À son retour, quelques minutes plus tard, il avait demandé à Elara de le suivre, que le roi allait la recevoir. Depuis, elle le suivait dans le labyrinthe de couloirs du château. Parfois vides, parfois remplis de courtisans ou d’employés. Elle lisait sur les visages de la joie, du bonheur et des éclats de rire retentissaient entre les murs. Elle lança un regard en biais à Aelius qui n’avait pas parlé depuis qu’ils étaient entrés. À chaque fois qu’ils passaient devant des portraits royaux, son regard s’assombrissait. Il s’arrêta quelques instants, les lèvres pincées, face à une toile retraçant le mariage du roi. Une inscription en bas du tableau attira l’attention d’Elara. « Le roi Paul et la reine Giselle ». Le magicien grimaça avant de poursuivre sa route aux côtés du garde. Elara s’attarda pour observer la peinture de cette union heureuse. Le roi avait finalement pu épouser la femme qu’il aimait. Pourquoi est-ce qu’Aelius semblait contrarié ? Était-ce parce qu’il avait raté les moments de bonheur de son meilleur ami ? Découvrir que la vie avait continué sans sa présence devait être tellement difficile et en même temps, rien ne pouvait arrêter le temps. Elara regretta de ne pouvoir en discuter avec lui.
Le garde poussa une porte capitonnée qui donnait sur un petit salon aux fauteuils en velours rouges.
— Veuillez patienter ici, ordonna-t-il.
Il claqua la porte derrière elle. Des fauteuils écarlates étaient entourés de vieux buffets chargés de vaisselle en porcelaine. Une odeur d’huile de lin, employée pour nourrir le bois, remplissait la pièce. Une cheminée dormait dans un coin, la propreté de l’âtre indiqua à la jeune femme qu’elle était à l’abandon.
— Moi qui m’attendais à être accueillie dans la salle du trône, soupira-t-elle.
Elle s’assit lourdement dans le fauteuil. Son poids souleva une nuée de poussière qui s’échappa du coussin. Est-ce qu’ils l’avaient mis dans une ancienne pièce inutilisée ? Un débarras pour qu’on puisse l’éliminer en douce ? Elle ne savait pas à quoi s’attendre. Comment serait le roi ? Espérait-il revoir son vieil ami ?
— C’est une représentation un peu désuète de la royauté non ?
— On n’en parle pas beaucoup à Aubelumière, de la royauté.
— J’ai cru comprendre, s’amusa Aelius.
Elara respira plus facilement. Avec son rire, Aelius venait de lever l’angoisse qui naissait dans sa poitrine.
— On ne parle pas beaucoup de votre village non plus, renchérit-il. Je me demande bien pourquoi. C’est comme si vous passiez inaperçu.
Elle sourit en se rappelant une vieille légende que les anciens leur racontaient quand ils étaient enfants.
— À quoi penses-tu ? demanda Aelius.
Son sourcil droit s’était soulevé de curiosité. Il s’installa sur le fauteuil en face d’elle.
— Ce n’est pas grand-chose. Juste une vieille histoire qu’on nous contait gamin.
— On a du temps à tuer…
Son regard devint de plus en plus insistant.
— Je te préviens, c’est un peu niais…
— Comme toutes les légendes. Niaises ou dramatiques.
Elara se redressa et se para d’une voix théâtrale.
— Il y a des milliers d’années, un homme d’un autre continent, naufragé, serait tombé amoureux d’une habitante de cette contrée. Pour la sauver, il aurait sacrifié plus que sa vie. Depuis, il veillerait sur ses descendants, les résidants d’Aubelumière, en les protégeant des dangers. La magie du cœur serait une manifestation de son affection, son héritage.
— L’éternelle histoire d’amour, soupira Aelius.
Son regard ne quittait pas celui de la sorcière.
— Ça doit être quelque chose non ? continua-t-elle. D’aimer au point de vouloir sacrifier sa vie pour le bonheur de l’autre.
Le silence qui suivit l’anecdote d’Elara les transporta hors du temps. Un moment où l’intimité qu’ils partageaient avait plus de poids que les mots. La porte qui s’ouvrit à la volée rompit ce moment magique. Un homme d’âge mûr, au visage anguleux, porteur d’une couronne dorée sertie de diamants, entra. À sa suite, une belle femme aux cheveux blancs referma délicatement la porte. Son attitude était plus douce que celle de son mari. Elara reconnut le Roi et la Reine. Malgré le passage du temps, leurs traits étaient semblables à la peinture qu’elle avait vue quelques instants plus tôt. Elle se releva, mal à l’aise. Elle hésitait sur la manière de se présenter.
Le roi s’avançait vers elle la mâchoire fermée. Son air sombre et menaçant terrifia la jeune femme. Elle lança un regard paniqué à Aelius qui, choqué par l’apparition de son ami, ne remarqua pas la peur d’Elara.
— Qui êtes-vous ? rugit le roi.
— Paul, murmura la reine. Calme-toi.
Elle posa sa main sur l’épaule de son mari avec douceur.
— Veuillez l’excuser, expliqua-t-elle. La pièce apportée a fait ressurgir des fantômes du passé qu’on avait oubliés.
— Oubliés ? bégaya la sorcière.
Elara lança un regard paniqué à Aelius dont le teint devenait plus pâle. Il paraissait tellement seul à cet instant.
— Où l’avez-vous trouvée ? demanda le roi.
— Dans la forêt, répondit-elle. Prêt d’une stèle.
Le roi s’agita, les bracelets en or qui habillaient son poignet tintèrent quand il empoigna ses cheveux, rongé par l’angoisse. Il se ressaisit, s’approcha d’Elara et la saisit par les épaules.
— Comment savais-tu que tu pourrais me parler en me montrant ça ? Pourquoi es-tu là ?
— J’ai rencontré Aelius, lança-t-elle paniquée.
À la mention de son nom, le magicien se réveilla de sa torpeur. Il se rua à côté d’Elara, le regard terrifié.
— Ne lui dis pas que je suis là, murmura-t-il. S’il te plait.
— Aelius ? répéta le roi.
Elle acquiesça d’un hochement de tête et il la lâcha. Les épaules basses, il s’effondra dans un des canapés. Sa femme se précipita à ses côtés pour l’entourer de ses bras. Elle jeta un regard désolé à la sorcière.
— Il est vivant ? susurra le roi.
— Piégé dans la stèle, grimaça Elara.
Elle détestait cacher une partie de la vérité, mais elle ne pouvait rompre la confiance qu’elle avait avec Aelius.
Le roi soupira et indiqua d’une main tremblante à Elara de s’installer sur le fauteuil en face de lui.
— Est-ce qu’on peut le délivrer ?
— Il m’a parlé d’un cristal qui exauce les vœux.
Le roi se rembrunit à l’évocation de la quête du magicien.
— J’ai une piste, continua Elara. Je crois qu’il se trouve dans les catacombes de Colroy. Si vous me laissez y aller, je libèrerai Aelius. Ce cristal est important pour moi, mon père est victime d’une terrible malédiction. C’est mon seul espoir pour le sauver.
Les sourcils froncés, le roi attrapa sa tête entre ses mains. Son genou droit pris de tremblements secouait le canapé.
— Je sais…
— Quoi ? s’exclama Aelius.
— Hein ? sursauta Elara.
— J’étais avec lui dans la forêt, continua le roi. Quand il a trouvé la stèle, je la recherchais de mon côté, on s’était séparé. Alors que je le rejoignais, j’ai intercepté un lutin qui tenait une boite. J’ai vite compris que c’était ce qu’on voulait avec Aelius. Je lui ai demandé de voir le contenu, c’est à ce moment que j’ai su que le cristal était dans les catacombes. Je l’ai recherché vous savez, Aelius. Mais il n’y avait plus aucune trace de lui. Nulle part. Est-ce que vous avez trouvé la carte ? C’est ainsi que vous êtes au courant ? J’aurais dû la détruire !
— Pourquoi n’a-t-il pas été récupéré le cristal pour me sauver ? s’énerva Aelius. Me laisser moisir depuis quarante ans dans une stèle l’amuse ? Notre amitié n’a jamais compté pour lui ?
Un long silence s’ensuivit jusqu’à ce que le roi décide de continuer son récit.
— J’ai été voir le grand magicien. Le père d’Aelius. Il était furieux, plus parce que j’avais risqué la sécurité de la couronne que par la disparition de son fils.
— Ça ne m’étonne pas, cracha Aelius. Il préférait me laisser crever que de chercher une solution. Qu’il condamne l’accès à la seule chose qui puisse me libérer, c’est le pompon. Je n’aurais pas dû revenir ici.
Le visage fermé, le magicien serra les poings. Comme s’il retenait toute la rancœur qu’il avait contre son père.
— Et il avait raison, soupira le roi.
La colère d’Aelius explosa. Il lança son bras contre le mur qu’il traversa. Sa respiration s’accéléra. Elara observait ses yeux gris se remplir de ténèbres.
— Je suis roi maintenant, expliqua Paul. J’ai des enfants, j’ai épousé la femme que j’ai toujours aimée. Après l’incident avec Aelius, j’ai décidé de m’opposer à mes parents. Je suis heureux même si mon ami me manque.
La jeune femme sentait son espoir s’envoler.
— Mais, vous ne savez même pas si c’est dangereux, tenta-t-elle. Me laisser y jeter un œil ne vous coûte rien.
— Je suis désolé, continua-t-il. Mais je ne mettrai pas mon royaume en péril. Comme vous, je dois protéger les miens. Le père d’Aelius me l’a répété jusqu’à sa mort, la magie qui se trouve dans les catacombes est différente de celle utilisée dans le grand-duché. Elle pourrait être dangereuse.
Il se leva, toisa la jeune femme avec pitié.
— Je ne changerai pas d’avis, rentrez chez vous. Un garde va vous raccompagner aux portes du château. Vous comprenez que je vais garder le laissez-passer, il ne vous appartenait pas.
Il se retourna juste avant de passer la porte.
— Je suis désolé.
Une larme glissait sur sa joue. Le roi fermait la porte de ses espoirs en même temps que celle du petit salon. Aelius semblait figé au sol, les bras immobiles.
— Et si tu lui parlais ? renifla Elara. Il changerait peut-être d’avis.
— Tu as bien écouté ses paroles ? répondit le magicien sèchement. Il est plus heureux sans moi. Mon père a bien fait en sorte que je ne puisse jamais me libérer de ma prison. Il doit être content dans sa tombe.
Il avait retrouvé son visage hautain, celui sur lequel glissaient les émotions sans l’atteindre. Avant d’avoir pu lui répondre, il se volatilisa à travers un mur.
— Aelius ! cria Elara. Attends !
Elle se retrouvait seule dans ce petit salon laissé à l’abandon. Privée d’espoir, sans personne avec qui en parler, car même si Aelius paraissait tout aussi dévasté qu’elle, il avait disparu. Est-ce qu’il reviendrait pour la ramener à Aubelumière ? Combien de temps fallait-il pour y retourner à dos de cheval ? Elle venait d’échouer dans sa quête. Le roi avait été très clair, il ne souhaitait pas la revoir. Elle s’effondra au sol en se laissant submerger par la tristesse.
La porte s’ouvrit doucement, Elara releva son visage marqué par les larmes pensant qu’il s’agissait d’un garde, mais elle découvrit une vieille femme ridée aux cheveux blancs dans l’encadrement. Elle portait des vêtements de bonne qualité, en soie et en coton, rehaussés par des bijoux sertis de diamants.
Elle s’approcha lentement, soutenue par une canne en bois dont le pommeau représentait un cerf d’or.
— Excusez-moi, jeune fille, pourriez-vous m’aider à retourner dans ma chambre ?
Je ne la trouve plus.
La vieille femme s’avança vers elle, sa canne tapa dans un des tapis au sol et elle manqua de tomber en avant. Elara se précipita dans sa direction pour l’attraper.
— Venez vous assoir un peu, lui dit-elle. Un garde doit arriver, je lui demanderai de vous raccompagner.
— Vous n’êtes pas d’ici, souligna la vieille femme.
— Non, soupira Elara, je suis venue rencontrer le roi. Je cherche un moyen de sauver ma famille, mais ça ne s’est pas passé comme je le voulais.
Une vilaine quinte de toux souleva la poitrine de l’inconnue. Quand elle essuya sa bouche avec un mouchoir brodé de fils d’or, Elara remarqua des taches de sang.
— Vous êtes malade ! s’écria-t-elle. Je vais vous chercher quelqu’un !
— Ce n’est pas la peine.
Elle attrapa la main d’Elara et l’invita à s’assoir à ses côtés.
— Quand vous serez aussi vieille et aussi seule que moi, la mort ne vous fera plus peur.
Le cœur d’Elara se serra.
— Moi aussi je voulais sauver ma famille, continua la vieille dame. J’ai tellement de regrets. Quelque part, j’espère encore le retour de mon fils avant de m’éteindre, pour lui demander pardon.
Une nouvelle quinte de toux la força à se taire. Elara se pinça les lèvres. Toute cette journée n’était qu’un horrible échec. Elle observait cette vieille femme quand une certitude la gagna. Elle ne pourrait peut-être pas se rendre aux catacombes aujourd’hui, mais elle pouvait essayer de soigner cette personne. Si elle attendait quelqu’un, Elara ferait en sorte que ça ne soit pas en agonisant. Elle lui attrapa les mains, se força à repenser à son entrainement avec Aelius. Elle se concentra, elle voulait tellement l’aider, soulager ses souffrances. Elle éprouva une étincelle de chaleur dans sa poitrine et se focalisa dessus. Elle ne la lâcha plus jusqu’à ce qu’elle grossisse et l’envoya de toutes ses forces dans le corps de sa patiente. Sentir sa magie fonctionner ralluma une flamme éteinte dans son cœur.
— Ça va aller, chuchota-t-elle, il y a toujours de l’espoir.
Elle leva les yeux en direction du mur qu’Aelius avait traversé.
— Si vous n’y croyez plus, j’y croirai pour deux.
— Hum, toussota un garde, je suis là pour vous ramener.
Elara ne l’avait pas entendu arriver. Elle lâcha les mains de la vieille femme dont le visage retrouvait des couleurs et semblait libéré de sa souffrance. Avec un sourire, elle se dirigea vers la sortie. Oui, la rencontre avec le roi était un échec. Est-ce qu’elle allait abandonner ? Non. Les habitants de Colroy n’avaient encore rien vu. Elle n’était pas la petite fée d’Aubelumière pour rien.
— Attendez !
Sa patiente se relevait, elle tenait parfaitement droite. Elle avança de quelques pas sans l’aide de sa canne.
— Quel est votre nom ?
— Elara.
— Qu’avez-vous demandé au roi ?
— Je veux me rendre aux catacombes.