Chapitre 15 – Rencontre royale
15 décembre 2023Chapitre 17 – Un cavalier mystère
17 décembre 2023La vieille femme avait essayé de convaincre le garde de laisser Elara avec elle encore quelques instants, mais il n’avait rien voulu entendre. La jeune femme en avait déduit qu’elle ne faisait pas partie de la royauté, malgré sa stature. Le garde l’empoignait par le bras pour la forcer à avancer d’un pas rapide. Aux grilles du château, il la poussa sans ménage dans la rue, elle perdit l’équilibre et se retrouva nez à nez avec les pavés colorés.
— Ne revenez pas, lança-t-il d’un air sévère. Ordre du roi !
Elle le foudroya du regard en se relevant, épousseta sa jupe et examina autour d’elle. L’intervention du garde avait attiré l’attention des promeneurs. Elle remonta l’écharpe jusqu’à son nez pour échapper aux chuchotements qui s’élevaient sur la place puis s’éclipsa. Elle se faufilait entre les passants pressés pour se soustraire aux regards curieux. Bon sang ! Cette entrevue s’était déroulée de façon dramatique. Elle ne savait pas ce qui était pire, l’aveu du roi de ne pas vouloir sauver son ami, la fuite d’Aelius ou s’être fait jeter du château comme une malpropre. Heureusement que dans tout ça elle avait pu aider la vieille femme. Est ce qu’il était possible de faire changer d’avis le roi ? Elle se demandait si une conversation entre les deux amis ne pourrait pas améliorer les choses. Dans son village, on prônait la communication. Elle se souvenait de discussions difficiles, mais nécessaires. Au détour d’une ruelle, un vendeur à la casquette noir, debout derrière un chariot en métal, criait pour attirer la foule.
— Chaud mes marrons ! Qui veut mes marrons chauds ?
Elle passait devant lui, perdue dans ses pensées quand il l’arrêta.
— Une jolie fille ne devrait pas avoir l’air aussi triste. Tenez ! Ça vous remontera le moral.
Il lui glissa dans les mains un sachet rempli de ses douceurs qui lui brulèrent le bout des doigts.
— Euh… Merci ?
Mais déjà, il était reparti servir d’autres clients qui attendaient en file indienne. Elle s’amusa quand il leva la tête de ses marrons pour lui faire un clin d’œil. Les habitants de Colroy ne ressemblaient en rien aux personnes moroses que sa mère avait décrites. Le geste désintéressé du vendeur lui réchauffa le cœur.
En redescendant de la grande place pour se rendre à l’auberge, elle continua à ressasser la situation. Comment allait-elle se débrouiller seule ? Elle ne pouvait pas compter sur le magicien, à chaque contrariété, il prenait la fuite au lieu de parler. Qu’est-ce que feraient ses proches dans cette situation ? S’ils étaient avec elle, ils auraient déjà mis un joyeux bazar dans Colroy. Finnigan et Mia auraient certainement retourné la ville pour savoir comment rencontrer une nouvelle fois le roi. Caden et Camille l’auraient poussée à continuer à espérer. Doc lui aurait dit de prendre de la hauteur, qu’avec de la sincérité elle pouvait déplacer des montagnes.
Elle pensa un instant à préparer une potion pour l’aider, mais elle ne savait pas si elle trouverait tous les ingrédients qu’il lui fallait ici. Devant l’auberge, elle observa son reflet dans la baie vitrée, ses traits tirés témoignaient de la dureté de la matinée. Filomène fronça des sourcils quand elle la repéra à travers la vitrine, elle l’attrapa par le bras dès qu’elle franchit le seuil.
— Toi tu as passé une mauvaise matinée on dirait.
Elle la tracta à l’intérieur.
— Tu es congelée, ma pauvre.
Elle demanda à son père de lui apporter une grosse couverture en laine avec laquelle elle enveloppa Elara. Assise de force dans un fauteuil au coin de la cheminée, la sorcière regarda Filomène se précipiter dans la cuisine en bougonnant que trainer dehors avec ce froid était le meilleur moyen de tomber malade. Quelques instants après, elle était de retour, une tasse fumante ainsi que quelques biscuits entre les mains.
— Tiens ! ordonna-t-elle. Bois ça, tu en as bien besoin.
Elara attrapa le mug en forme de tête de renard, les effluves du chocolat chaud l’enivrèrent. Filomène ne la lâchait pas des yeux, elle brulait de poser un millier de questions, mais n’osait pas. Sa volonté oscillait entre sa curiosité et son professionnalisme.
— Ça va aller, ne t’en fait pas, la rassura la sorcière. Je devais rencontrer quelqu’un qui pouvait m’aider à régler un problème familial. Mais ça ne s’est pas bien passé.
Elle souffla sur sa tasse pour en refroidir le contenu, mourant d’envie de tremper ses lèvres dans le breuvage.
— Oh, murmura Filomène. Tu vas repartir alors ?
— Je ne sais pas, j’aimerais croire qu’il existe encore une solution.
Elara remarqua le père de l’aubergiste. Il gesticulait derrière le comptoir pour attirer l’attention de sa fille puis mimait des pas de danse.
— Mais bien sûr ! cria Filomène en tapant dans ses mains. Le bal de ce soir ! Tu vas venir avec moi ! Ça te changera les idées.
Elara manqua de recracher son chocolat chaud.
— Quoi ?
— Le grand bal de Colroy qu’on organise chaque année. C’est la soirée de l’année ! Tellement magique ! Et c’est surtout l’occasion de porter de belles robes en étant masquées.
Filomène reprit son souffle.
— Tu ne peux pas louper ça !
Elara secoua la tête.
— Je ne suis vraiment pas d’humeur à faire la fête.
Le père de Filomène ramena des gaufres sur une assiette en faïence décorée de petits rennes dorés qu’il plaça devant Elara. Il lui posa sa main sur l’épaule.
— Parfois, quand on ne voit plus de solution, il faut changer de perspective.
Des clients firent irruption dans l’entrée. Les deux aubergistes laissèrent Elara afin de s’occuper d’eux. Le feu dans la cheminée crépitait. Est-ce qu’elle devait accompagner Filomène au bal comme elle le suggérait ? Elle pourrait peut-être y rencontrer des personnes influentes. Imaginons qu’elle y arrive, combien de temps cela prendrait ? Elle ne pouvait pas se permettre de rester trop longtemps loin de son foyer. Son chocolat chaud terminé, elle reposa sa tasse au comptoir et fila dans sa chambre. Elle s’arrêta au bout de quelques marches, interpellée par la discussion de deux femmes qui savouraient un café dans un canapé.
— J’ai entendu que Mme Blancherive sera présente à la soirée cette année.
— Après toutes ces années ?
— Oui, depuis la mort de son mari elle avait disparu des mondanités.
— En même temps, elle ne s’était jamais relevée de la perte de son fils.
— Ne m’en parle pas. Pauvre enfant, il était promis à un bel avenir, mon garçon m’a dit que personne n’a réussi à le dépasser à l’académie de magie. Quelle tristesse !
Elara se figea. Est-ce qu’elles parlaient de la mère d’Aelius ? Elle fit demi-tour et se planta devant les pipelettes.
— Vous vous rappelez son nom ? demanda-t-elle. À son fils ?
— Oh, Gabrielle, rigola celle avec un bonnet surmonté d’un pompon rouge, on espionnait notre conversation.
Les joues d’Elara rosirent, mais elle ne se débina pas pour autant.
— Je passai à côté quand je vous ai entendu.
Elle respira un grand coup.
— Alors ? insista-t-elle.
La deuxième se gratta le front, et son visage s’éclaira.
— Aelius ! Je m’en souviens comme si c’était hier ! Aelius Blancherive, le magicien le plus prometteur de l’académie qui a disparu subitement, il y a quarante ans. Son nom est devenu une légende. Personne ne sait ce qui est advenu de ce pauvre garçon. À mon avis, il est mort.
Non, il n’était pas mort. Et sa mère l’attendait ! L’espoir naquit dans le cœur d’Elara.
— Merci ! lança-t-elle aux deux femmes.
Elle se précipita au bar ou Filomène préparait des boissons chaudes.
— À quelle heure, le bal ?
— Tu as changé d’avis ? s’enthousiasma l’aubergiste.
— Oui !
— Génial ! Je viens te chercher tout à l’heure, tu pourras regarder dans mes robes !
Elara acquiesça et remonta l’âme légère dans sa chambre. Le père d’Aelius avait ordonné la fermeture des catacombes, est-ce que sa mère possédait encore assez d’influence pour persuader le roi de les rouvrir ? Est-ce qu’elle l’écouterait ? Cette fois, elle ne cacherait pas le fait qu’Aelius était présent avec elle. Elle allait tout miser sur l’amour d’une mère. Enfin, elle espérait quand même que le magicien finisse par revenir, sinon son plan ne marcherait pas. Son esprit vagabonda, elle l’imagina en tenue de bal, danser avec lui, sentir sa main effleurer sa taille. Est-ce qu’il danserait avec elle ? Enfin ! À quoi est ce qu’elle pensait ? ! S’ils arrivaient à récupérer le cristal, il finirait par retourner à son époque. Elle étouffa ses sentiments naissants, ce n’était pas le moment de tomber amoureuse !
Elle poussa la porte de sa chambre, déposa ses affaires sur le parquet luisant pour s’effondrer sur le lit quand un paquet coloré attira son regard. Emballé dans du papier vert ainsi que du ruban doré, il avait été déposé sur la table basse. Une enveloppe décorée avec un cerf d’or contenait un carton d’invitation au bal accompagné de quelques mots manuscrits.
« Je compte sur votre présence ce soir. SB »
SB ? Quelle idée de signer avec des initiales ! Qui lui avait envoyé ce paquet ? Elle ne connaissait personne ici ! Elle saisit le couvercle avec douceur et le déposa sur un des fauteuils. Ses yeux s’écarquillèrent en apercevant le contenu. Elle attrapa délicatement un masque brodé en fils d’or serti de pierres précieuses. Son cœur s’accéléra devant la beauté de l’objet qu’elle tenait dans ses doigts. Le masque paraissait ridicule face à la robe en soie dorée qui reposait entre deux feuilles de papiers fins. Elara la déplia et l’observa sous toutes les coutures. Resserré à la taille, son jupon s’étendait au sol comme la queue d’une sirène. Le corset souple laisserait ses épaules ainsi que son décolleté dénudées. Jamais elle ne pourrait porter une pièce aussi sulfureuse.
Elle rangeait la robe quand la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée.
— J’ai cinq minutes de répits, lança Filomène. Viens ! On va fouiller dans mon armoire pour te trouver une tenue !
La voix vive de l’aubergiste se termina par un chuchotement quand elle aperçut la robe dans les mains d’Elara. Interloquée, elle se précipita vers la jeune femme.
— Quelqu’un a déposé ce paquet pendant mon absence, soupira Elara.
Elle attrapa le mot manuscrit et lui tendit.
Filomène lut la carte à voix basse et ses lèvres se mirent à trembler. Elle observa Elara, ses globes oculaires semblaient vouloir sortir de ses orbites.
— Qu’est-ce que tu as fait pour que Sibylle Blancherive t’invite personnellement à la réception ?