Chapitre 10 – Les lutins de la rivière
10 décembre 2023Chapitre 12 – La carte
12 décembre 2023La lutine, nommée Tutu, farfouillait dans une grande malle pleine de vêtements. Après plusieurs hésitations, elle donna à Elara un pantalon fabriqué dans une matière mystérieuse qui s’étirait à chacun de ses mouvements ainsi qu’un long pull en laine doux comme de la soie. La lutine s’émerveilla quand elle découvrit que les habits étaient piles à sa taille. Elle obligea Elara à s’assoir pour lui tresser sa crinière. Elle avait noué autour de son poignet un ruban rouge qu’elle comptait utiliser pour attacher la coiffure.
— Tes cheveux sont magnifiques, s’extasia Tutu. Si tu leur apportais un peu plus de soins, je suis certaine que tu pourrais avoir de belles boucles.
Ses yeux pétillaient en observant les reflets rougeoyants de la chevelure de la jeune femme.
— Je m’en souviendrai, promit Elara.
Elle était touchée de la gentillesse, de la douceur dont avait fait preuve le petit peuple des rivières à son égard. Après tout, rien ne les obligeait à l’aider. Pourrait-elle un jour leur rendre la pareille ?
Elle sursauta quand des coups résonnèrent sur la porte de la hutte. Tutu terminait de nouer le ruban au moment où la porte s’ouvrit sur Caden, les bras chargés de sacs en toile, poursuivit par Aelius qui flottait d’un air nonchalant.
— Prête pour une séance de sport Ela ? s’amusa Caden. Je sais à quel point tu aimes ça !
Le visage de la jeune femme se rembrunit. Elle entendait et comprenait bien l’ironie dans la voix de son ami. Elle n’avait jamais montré d’appétence particulière pour l’activité physique et sa maladresse entrainait toujours l’une ou l’autre blessure.
— Mon objectif, c’est que tu sois vivante à la fin de cette ascension, continua-t-il. Tu te rappelles la dernière fois que je t’ai emmené courir ? Tu as trébuché sur une racine et tu es tombé dans un ravin. J’ai cru que Camille allait me découper en rondelle quand je t’ai ramené en boitant à la maison.
Le sang d’Elara afflua dans ses joues, elle aurait préféré qu’il ne raconte pas ses maladresses devant d’autres personnes. Un sourire moqueur pointait déjà sur les lèvres d’Aelius.
— Ça va aller, toussota-t-elle.
Elle s’approcha de la table où Caden avait posé ses sacs pour y fouiller l’intérieur. Celui-ci retourna dehors avec Tutu pour récupérer ce qui lui manquait. Elle se retrouva seule avec le magicien. Elle priait pour qu’Aelius, à ses côtés, ne fasse pas de commentaire. Elle était déjà mal à l’aise et mourrait d’envie de se cacher dans un trou de souris.
— Ça te va bien, chuchota le magicien. Les cheveux attachés.
Elle tourna la tête, surprise du compliment, mais Aelius s’envolait déjà devant la fenêtre.
— Il a intérêt à bien te protéger, continua-t-il d’un ton détaché, en regardant les marécages. S’il t’arrive quelque chose, je le hanterai pour le reste de sa vie.
— Je sais ! râla Elara. Tu as besoin de moi pour te libérer.
— Tu sais quoi ? demanda Caden.
Il apportait une longue corde épaisse qu’il laissa choir sur le sol de la hutte.
— Rien, rien… assura Elara. C’est quoi cette corde ?
— On va s’attacher, expliqua Caden. Hors de question que je te laisse t’écraser sur le sol. J’ouvrirai la route pour te montrer ou passer en sécurité. Et Ela ?
— Oui ?
— Tu n’en fais pas qu’à ta tête et tu m’écoutes !
— Promis.
Caden s’encorda puis s’attaqua à Elara. Il se concentra sur les nœuds qui permettaient d’harnacher la jeune femme. Le silence qui régnait dans la hutte témoignait du sérieux qu’il mettait dans la sécurité de la sorcière. Aelius observait avec attention les moindres gestes, les moindres manipulations.
— Caden ? chuchota-t-elle.
— Mm ?
— Merci pour ton aide. De m’avoir montré le village des lutins, d’avoir proposé de monter avec moi. Je n’y arriverais pas toute seule.
Un sourire s’afficha sur le visage de son ami. Il termina son cordage et lui tapota sur la tête.
— C’est fait pour ça les amis, non ? rigola-t-il. Je te connais par cœur, on a grandi ensemble Ela. Tu aurais escaladé cet arbre seule, têtue comme tu es ! Je préfère t’accompagner pour qu’il ne t’arrive rien. En plus, c’est toujours toi qui nous sauves de nos déboires d’habitude ! Je ne fais que te rendre la pareille.
— Ce n’est pas bientôt fini toutes ces effusions ? râla Aelius calé contre un mur qui n’avait pas perdu une miette de la conversation. On a compris l’idée, vous êtes des supers amis, qui prenez soin l’un de l’autre…
— Je crois que c’est bon ! affirma Caden. Tu es prête ?
Elara acquiesça et alors que Caden lui tournait le dos pour sortir de la hutte, elle en profita pour foudroyer Aelius du regard. Est-ce qu’il oubliait que les autres ne pouvaient pas le voir ? C’était perturbant de l’entendre parler comme s’il participait à la conversation. Plusieurs fois, elle s’était mordue la langue pour ne pas lui répondre.
Elle suivit Caden, harnachée par la corde jusqu’au vieux chêne. L’immensité de l’arbre donna des sueurs froides à Elara. De près, elle constata qu’elle avait surement présumé de ses forces. Comment allait-elle réussir à monter en haut ? Plus elle le regardait, plus l’angoisse la gagnait. Elle ne voyait aucune prise où s’accrocher.
Caden commença à rôder autour du tronc quand Huhu arriva derrière eux. Le cœur d’Elara s’emballait, sa respiration devenait plus difficile. Huhu lui attrapa la main.
— Vous n’allez pas aller bien loin ainsi, plaisanta-t-il de sa voix aiguë. Vient ici, Caden !
Le jeune homme les rejoignit sur le terrain boueux.
— Enlevez vos chaussures, ordonna le lutin
Ils obéirent à Huhu tout en restant sur leur garde. Le lutin chopa le pied de Caden qui se retrouva les fesses dans la boue. Il les lui badigeonna d’une texture verte et collante qui au contact de sa peau étincela et disparut. Il réitéra l’opération sur ses mains.
— À ton tour, dit-il en désignant Elara.
Elle le laissa faire, mais grimaça au contact de la mixture visqueuse et gluante.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
— De l’aggriptou ! C’est utile pour grimper aux arbres. Avec ça, vous pourrez vous accrocher. L’effet durera une journée.
Caden s’était déjà élancé dans l’escalade du tronc.
— Regarde Ela, s’enthousiasma-t-il. Je monte super vite ! C’est trop bien ce truc Huhu.
Bientôt, la corde qui le liait à Elara tira comme pour engager la jeune femme à y aller.
— Rejoins-moi ! cria Caden euphorique.
Avec appréhension, Elara s’approcha du tronc. La texture rugueuse de l’écorce vint râper ses mains qui se collèrent au tronc. Elle commença son ascension rassurée de la facilité avec laquelle elle grimpait. Son soulagement fut de courte durée.
Après avoir monté quelques mètres, Elara repéra une branche ou elle s’installa pour reposer ses jambes qui souffraient de l’escalade. Elle regarda avec désespoir la cime qui se trouvait hors de portée. Tout son corps lui dictait d’abandonner. Elle se tourna vers Caden assis sur une branche au-dessus d’elle.
— Je n’y arriverais jamais, souffla-t-elle.
— C’est comme tu veux Ela, si tu ne te sens pas capable, tu attendras que les lutins s’y rendent.
Il s’arrêta pensif.
— Mais tu les as entendus, ils n’ont pas prévu d’y aller avant un moment.
Elara serra les lèvres. Aelius qui flottait dans le ciel se planta devant elle.
— Tu es tout à fait apte à escalader cet arbre, décréta le magicien. Tu vas vraiment abandonner maintenant ? Je croyais que tu étais prête à tout pour sauver ton père !
La jeune femme le fusilla du regard.
— C’est facile à dire quand on peut voler.
Elle recommença à s’agripper au tronc, mais elle était obnubilée par la souffrance qui se propageait dans chacun de ses muscles. Pourtant le magicien avait raison, elle ne pouvait pas abandonner, pas maintenant. Si quelque chose arrivait à son père parce qu’elle n’avait pas eu la force de continuer, elle en mourrait.
— Débranche ton cerveau, ordonna Aelius. Ne pense pas, grimpe !
Elle grimaça en poussant sur sa cuisse déjà endolorie.
— Comme si un magicien qui passe sa vie dans des bibliothèques pouvait me donner des conseils.
— Détrompe-toi, répondit-il.
Il continuait à flotter pour rester à la même hauteur qu’elle. Comme s’il essayait de la soutenir pendant son effort. Et pour une fois, il semblait plutôt bavard.
— Le prince m’emmenait dans tous ses périples, poursuivit-il. Crois-moi, j’ai escaladé des montagnes plus imposantes que ce vieil arbre. Je sais ce que c’est quand tous tes muscles te crient d’arrêter, que tu as l’impression de ne plus pouvoir avancer. Mais je t’ai bien observé Elara, tu es courageuse, tu n’as pas l’air d’abandonner aux premiers obstacles. Tu peux y arriver.
La respiration de la jeune femme devenait de plus en plus difficile, elle se concentrait sur la voix du magicien pour continuer à avancer
— Est-ce que tu crois qu’il est à ta recherche ? demanda-t-elle, haletante.
— Bien sûr ! C’est pour lui que j’étais parti à la découverte du cristal, enfin, en partie.
— Il en avait besoin ?
— Une sombre histoire de mariage arrangé. Vous avez l’air assez libre de vos mœurs ici, mais au palais c’est différent, surtout quand on est un prince ! Il aime une fille qui travaille aux cuisines, Giselle, une belle brune aux cheveux longs. Paul n’a jamais été très courageux et il n’ose pas aller contre la volonté de ses parents.
Alors qu’il continuait à lui expliquer les états d’âme du prince, leurs voyages ainsi que leurs aventures, Elara persévérait et progressait. Dans un coin de sa tête, elle pensa tout de même que c’était dommage d’utiliser un cristal pour un problème qui se réglerait avec un peu de communication.
— Ela ça va toujours ? cria Caden, quelques mètres au-dessus d’elle. Je t’entends bougonner depuis tout à l’heure. J’ai une bonne nouvelle! Je vois l’entrée de leur réserve ! Encore un petit effort et nous y sommes !
— Enfin !
Tout son corps tremblait, les derniers mètres lui demandèrent de puiser dans toute la volonté et la force qui lui restait. Quand elle parvint à la plateforme, Caden l’aida à se hisser et la serra contre lui.
— Je suis trop fier de toi ! Bravo !
— Je t’avais dit que tu y arriverais ! continua Aelius.
Elara étira ses membres endoloris. Elle ne pouvait s’empêcher de sourire ; le succès de cette escalade lui avait remonté le moral et elle se sentait puissante. Comme si rien ne pouvait l’arrêter. Elle remercia Aelius du bout des lèvres, il y répondit avec un clin d’œil.
Un petit portillon en bois fermait la remise, elle s’empressa de l’ouvrir et entra.
— On y va ? lança-t-elle gaiement.